Le Black Friday n’est pas qu’une simple période de promotion. Cet événement en apparence purement commercial posséderait toutes les caractéristiques d’une Fête au sens où les sociétés primitives l’entendait.

Sommaire :
- Une fête pour tout
- Une fête qui ne dit pas son nom
- C’est quoi une fête ?
- Un spectacle avant tout
- Un rituel de destruction
- Une symbolique sombre
- Un folklore entretenu
- Une vraie fête ne se décrète pas
1. Il existe une fête pour tout, sauf pour la Consommation
Fête des Mères, des Grands Mères, des Voisins, du Cinéma, de la Musique, du Livre, de la Science, du Travail, du Sport, du Patrimoine, du Citron, du Haricot… l’on pourrait quasiment dérouler le dictionnaire pour faire état de toutes les fêtes produites par notre époque.
Seule la Consommation semble échapper à cette volonté de passer toutes les activités humaines au crible du festif. En effet, il n’existe pas, officiellement, de Fête de la Société de Consommation. C’est un comble pour notre société dont le consumérisme est à la fois le principe et la finalité.
2. Le Black Friday : une fête de la consommation qui ne dit pas son nom
Quand on y regarde de plus près, il semblerait que le succès du Black Friday ne repose pas seulement sur les promos et le matraquage publicitaire.
Cette opération puiserait sa force dans des racines bien plus profondes. Comme s’il s’agissait d’une résurgence de la fête primitive dans ce qu’elle a de plus cathartique, orgiaque et déraisonnée.
3. Au fait, c’est quoi une fête ?
La fête, chez les peuples “primitifs” ou “archaïques” est une expérience véritablement collective, avec tout ce que cela draine de désordre, d’effet de groupe et de phénomènes d’hystérie collective. L’on retrouve encore cet esprit dans certains rituels de dévotion religieuse. Je pense aux rite d’Achoura dans l’Islam ou aux célébrations de Velvel en Inde.
Nos fêtes aseptisées, qu’elles soient laïques ou religieuses, nous ont fait oublier ce sens premier. Nous, les “modernes” individualisés et domestiqués, sommes incapables d’éprouver cette abolition du JE, hormis dans certains événements échappant au contrôle des autorités comme les free party ou encore certains carnavals.
4. Un spectacle avant tout
Avec le Black Friday, le spectacle est toujours au rendez-vous.
Chaque année, la télévision s’empresse de relayer les images de foule qui se battent dans les magasins pour une télé à écran plat ou une console de jeu. Comme si l’on craignait que la Société de Consommation ne disparaisse si les magasins n’étaient plus pris d’assaut le jour du Black Friday !
Voici des images fascinantes sur lesquelles chacun peut projeter ses fantasmes. C’est un imaginaire de chaos, un plaisir de jouer avec ses peurs comme dans un train fantôme. On aime à se révolter contre cette absurdité, cette frénésie, cette folie à peine croyable… Et pourtant ce serait encore plus excitant si les magasins se voyaient littéralement mis à sac par des hordes de consommateurs hurlant des slogans publicitaires !
5. Rituel, destruction et gâchis
La fête primitive n’a de sens que dans la dépense et le gâchis. Pour les peuples premiers, la fête ne va pas sans rite d’offrandes, soit la destruction pure et simple de biens (cultures, outils, fétiches….). Le parallèle serait ici facile à faire entre les achats compulsifs, la dilapidation des ressources de la planète et ces objets mis au rebut alors qu’ils auraient mérité une seconde vie.
Cette vision de la fête est dispendieuse, cruelle, monstrueuse, immorale, démesurée, insensée… Soit les reproches formulés par l’ensemble des opposants qui veulent interdire le Black Friday. Ainsi, ces derniers remplissent ainsi la fonction non pas d’hérétiques, mais de schismatiques, en formant une nouvelle tribu de consuméristes, celle des consom’acteurs. Ils restent des consommateurs, mais dans une croyance qui leur garantit une bonne conscience.
6. Une symbolique sombre
Que dire du mot Black ? Elle est très symbolique cette couleur, surtout à une période de l’année où la durée des nuits ne fait que croître. On ne peut pas nier qu’il y a un côté sombre dans cette affaire.
On cherche de nombreuses origines historiques au Black Friday : des histoires de livres comptables aux chiffres noirs, de rues noires de mondes… autant de belles légendes qui permettent d’éviter de regarder cette part d’ombre intrinsèque.
Voilà qui explique pourquoi les arguments des #GreenFriday ou #NoBlackFriday sont inefficaces contre un phénomène qui assume à ce point son côté négatif… Est-ce qu’un magicien noir se préoccupe de ce que pense un magicien blanc ?
7. Un folklore entretenu
Personne n’est dupe sur les entourloupes de certains vendeurs. Je pense particulièrement à la bonne vieille méthode du prix de base augmenté la veille du Black Friday pour faire croire à une bonne affaire.
Si c’est vrai dans certains cas, cette histoire relève tout de même du lieu commun. C’est la légende urbaine qui tient du folklore, presque une formule rituelle. Dans une approche encore plus primitive, C’est le tour de magie du chaman, le miracle qui fascine autant par son résultat que par le soupçon de fake qui s’en dégage.
8. Une vraie fête ne se décrète pas
Si l’on s’en tient aux racines primitives de la fête, celle-ci ne se décrète pas, ni par un état, une association et encore moins une entreprise. C’est dans cette zone grise que le Black Friday se présente comme une fête qui ne dit pas son nom au risque de mettre fin au phénomène d’hypnose qui sidère les participants.
Dans cette optique symbolique, il est également intéressant de noter le glissement de la tradition américaine d’origine (Thanksgiving, l’esprit d’union) vers ce qu’est devenu l’Amérique, c’est-à-dire un agrégat de consommateurs individualistes qui ne semble trouver d’unité que dans les grands mouvements hystériques de masse.
Ne dites surtout pas que le Black Friday est une fête, il risquerait de s’arrêter.
« Le consumérisme n’a plus beaucoup le choix, il essaie de muter. Il a tâté du fascisme, mais ce n’est pas assez primitif. Il ne lui reste que la folie pure et simple… »
– J. G. Ballard